Comment faire de la RSE un véritable investissement stratégique ?

L’urgence sociale et climatique nécessite une mobilisation de tous les acteurs, et en particulier des entreprises. L’engagement de ces dernières en faveur du climat, de l’insertion, de la réduction des inégalités, n’est pas seulement une préoccupation pour les jeunes générations. Salariés, consommateurs, investisseurs, citoyens… les attentes sont fortes dans toutes les sphères de la société.

Malgré une prise de conscience croissante des défis à relever, dans les faits, l’engagement des acteurs privés reste insuffisant. Les travaux de recherche les plus récents font pourtant consensus : il existe un lien de corrélation très clair entre engagement et performance économique.

Comment expliquer ce paradoxe ? Et quelles sont les conditions à réunir pour concilier engagement et performance économique ? Intersection Le Lab vous propose d’approfondir ces questions et de dessiner quelques pistes d’action à travers trois exemples inspirants d’entreprises qui ont su allier engagement et performance.

Encore trop peu d’acteurs engagés

Si les pratiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) se diffusent progressivement en France, elles restent encore l’apanage des grands groupes et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les entreprises de plus de 500 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros sont soumises depuis 2014 à une obligation de transparence sur leurs performances extra-financières. Elles ont donc été incités à mettre en place des actions en faveur d’un développement plus durable et à les valoriser. En revanche, pour les PME qui constituent l’essentiel du tissu économique en France, la mise en œuvre d’une politique de RSE s’avère plus complexe.

Selon le baromètre de la RSE 2022 réalisé par Vendredi, quelle que soit la taille de l’entreprise, la mise en œuvre opérationnelle de stratégies RSE est ralentie principalement par un manque de ressources humaines, d’expertise et de temps. Une entreprise sur trois n’a pas de budget ni d’équipe alloués à la RSE et l’implication des salariés dans les actions de RSE reste faible, alors même que leur engagement peut avoir un impact significatif sur les performances de l’entreprise. Peu de dispositifs sont d’ailleurs mis en place pour favoriser la participation des collaborateurs : seules 23% des entreprises proposent par exemple des crédits de jours solidaires à leurs salariés pour faciliter leur engagement sur leur temps de travail.

Autre écueil, la RSE est trop souvent envisagée sous les seuls prismes de la communication ou de la valorisation de la marque employeur. Elle se limite à des actions ponctuelles, parfois déconnectées de l’activité et des objectifs de l’entreprise, alors que la RSE devrait être considérée comme un véritable investissement stratégique, une opportunité pour réinventer les process et les modes de travail, pour explorer et investir de nouveaux marchés, pour répondre aux attentes et aux défis du monde de demain.

La marche à franchir reste importante. En matière de transition écologique par exemple, il faudrait investir entre 30 et 65 milliards d’euros supplémentaires chaque année en France pour parvenir à tenir nos objectifs climatiques selon les estimations publiées par l’Institut de la finance durable, et la grande majorité de ces investissements devront être réalisés par les entreprises (entre 20 et 40 milliards d’euros).  

Les entreprises vertueuses sont les plus rentables

On a communément tendance à penser que si les entreprises n’investissent pas dans les activités les plus durables, c’est parce que celles-ci seraient moins rentables que des investissements dans des activités plus « conventionnelles ». Or, une synthèse de la recherche économique compilant les résultats de plus de 2 000 études empiriques sur le sujet montre que, pour environ 90% des travaux de recherche, la meilleure prise en compte des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) a un impact nul ou positif sur la performance économique.

Une enquête menée par le cabinet de conseil McKinsey indique même que les investisseurs seraient prêts à payer environ 10 % plus cher pour acquérir une société ayant une forte performance ESG, reconnaissant ainsi que l’engagement conduit aussi à créer de la valeur pour les actionnaires.

Concernant l’investissement dans des politiques de RSE, un rapport de France Stratégie estimait qu’elle « procure un gain de performance en moyenne de l’ordre de 13 % par rapport aux entreprises qui ne l’introduisent pas (toutes choses égales par ailleurs), en particulier quand elle relève de l’initiative volontaire et non de mesures contraignantes. »

Autrement dit, les entreprises les plus vertueuses et les plus engagées sont plus rentables que les entreprises qui n’ont pas fait ce choix. Elles démontrent une plus grande capacité de résilience à long terme car plutôt que d’attendre d’être contraintes à évoluer sous le coup de normes et de réglementations, elles prennent le parti d’anticiper les évolutions de leur environnement et d’y faire face de façon proactive. Elles prennent ainsi une longueur d’avance sur leurs concurrents tout en améliorant leur réputation auprès de leurs clients et leur marque employeur afin d’attirer et de fidéliser des talents.

Un impératif : éviter le green-, social- ou impact-washing

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater qu’un véritable engouement s’est créé autour de ces notions, la mode de la RSE ayant progressivement laissé la place à celle de l’engagement et aujourd’hui à celle de l’impact… avec parfois le risque de s’exposer à des effets pervers lorsque l’engagement est uniquement perçu comme une opportunité de communication.

Le groupe américain de grande distribution Walmart en a par exemple fait les frais. Il a certes élaboré un plan ambitieux pour accroître son efficacité énergétique et réduire ses déchets mais il a en parallèle multiplié les condamnations pour greenwashing dans des affaires d’information ou de publicité trompeuse (vente de produits en plastique présentés comme biodégradables, distribution de produits textiles présentés comme issus de l’agriculture biologique alors qu’ils ne l’étaient pas, etc.).

Pour qu’une politique d’engagement soit efficace et suscite l’adhésion des salariés et des autres parties prenantes, elle doit non seulement répondre à une véritable problématique sociale mais également être cohérente avec les objectifs, la culture de l’entreprise et ses pratiques. La tâche n’est pas simple, en particulier pour les plus petites entreprises qui ont parfois du mal à définir une stratégie pertinente en raison de la complexité des enjeux et d’un manque de moyens.

Trois exemples inspirants d’entreprises engagées

1. Le groupe AGRICA, ou comment aligner ses engagements avec sa raison d’être

Spécialiste de l’assurance-retraite, de la santé et de la prévoyance pour les salariés du secteur agricole, le groupe AGRICA a mis en place un programme destiné à améliorer les habitudes de santé et la qualité de vie de ses salariés atteints de maladies chroniques. La solution mise en place par l’entreprise prend la forme d’un suivi à distance via des outils numériques ainsi qu’un coaching proposé par des professionnels de santé.

Le bénéfice de ce type d’actions est attesté par certaines études économiques : K. Baiker, D. Cutler et Z. Song (2010) estiment par exemple qu’aux États-Unis, pour 1 dollar investi dans des programmes de santé au travail, les entreprises enregistrent 2,73 dollars de gains par la réduction de l’absentéisme et 3,27 dollars de réduction des coûts médicaux. Autrement dit, cette action qui s’inscrit en cohérence avec l’activité de l’entreprise, elle bénéficie directement aux salariés et génère également des externalités positives qui profitent à l’entreprise et à la société dans son ensemble.

2. Criteo mise sur la participation active de ses salariés dans la définition de sa politique d’engagement

L’entreprise Criteo, spécialiste de la publicité en ligne, a mis en place une démarche originale pour impliquer ses collaborateurs dans sa politique de RSE en les associant directement à sa définition et sa mise en œuvre. Le principe est simple : donner aux salariés qui souhaitent s’engager un espace et des moyens pour le faire.

L’avantage de ce modèle est d’offrir une grande liberté d’action aux salariés volontaires et de leur permettre de voir rapidement les résultats de leurs engagements. La gouvernance de son programme de RSE, baptisé Criteo Cares, repose sur des « Champions », des promoteurs du programme répartis dans tous les sites du groupe, et sur des comités qui veillent au bon alignement des engagements avec l’activité et les objectifs de Criteo.

Grâce à ce modèle collaboratif, qui offre flexibilité et réactivité, le groupe a mis en place des initiatives de mécénat individuel pour permettre à chaque salarié de soutenir des causes qui lui tiennent à cœur, des formations de sensibilisation aux enjeux de développement durable ou à l’inclusion, la mise en place d’une plateforme interne pour promouvoir des pratiques professionnelles plus respectueuses de l’environnement, etc.

3. SEB : faire du développement durable un objectif à toutes les strates de l’entreprise

Le groupe qui fabrique en moyenne 200 millions de produits de biens de consommation chaque année a lancé il y a près de 10 ans une démarche pour réduire son empreinte écologique en améliorant ses process de la conception jusqu’à la fin de vie de ses produits.

Dans cette perspective, SEB a d’abord procédé à une évaluation de son empreinte carbone en 2016. Ce bilan lui a permis de cibler ses actions sur l’éco-conception afin d’augmenter la durée de vie des produits, sur l’utilisation de matériaux alternatifs ou recyclés, sur l’amélioration de l’efficacité énergétique des produits et de leur recyclabilité. 

Le groupe encourage également l’adoption de pratiques respectueuses de l’environnement par l’ensemble de ses collaborateurs, qu’ils travaillent dans les usines, les bureaux ou les entrepôts. Il a investi dans l’optimisation de la gestion de l’énergie dans les bâtiments, réduit les déplacements des collaborateurs et incité à une utilisation plus efficace des outils informatiques.

SEB projette ainsi de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre par produit fabriqué d’ici la fin 2023 (par rapport à l’année de référence 2016) et de supprimer totalement les sous-emballages plastiques.

Principales références

– Baiker K., Cutler D., Song Z., 2010, « Workplace wellness programs can generate savings », Health Affairs, janvier.

– Bassen A., Busch T., Fride G., 2015, « ESG and financial performance: Aggregated evidence from more than 2000 empirical studies », Journal of Sustainable Finance & Investment, octobre.

– France Stratégie, 2016, « Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité », janvier.

– Institut de la finance durable, 2023, « Plan d’actions pour le financement de la transition écologique », mai.

– McKinsey Sustainability, 2020, « The ESG premium: New perspectives on value and performance », février.

– Vendredi, 2022, « Baromètre de la RSE : Une accélération qui se fait attendre ? », 2ème édition.

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